L’IDÉOLOGIE ISLAMOPHOBE

Le 2 octobre dernier, à la suite d’une agression visant une femme de confession musulmane, l’Assemblée nationale du Québec a condamné l’islamophobie dans une motion qui a suscité, comme on pouvait s’y attendre, de très vives réactions, certaines la saluant et d’autres la décriant.

Censée réjouir les Québécois musulmans, cette motion parlementaire renforce plutôt les craintes de beaucoup d’entre eux. Car, au moment même où ils reconnaissaient officiellement l’existence du phénomène de l’islamophobie, nos députés vidaient malheureusement la notion de sa véritable portée.

En effet, à la lumière de son contenu et de certaines déclarations faites aux médias suite à son adoption, il est clair que nos politiciens ne comprennent toujours pas qu’avant d’être des actes criminels, qu’il faut certes condamner, l’islamophobie est d’abord et avant tout une idéologie.

De par sa fonction, à savoir la justification des actes islamophobes, cette idéologie est en effet la véritable racine du mal. Sans elle, ces actes seraient dénoncés pour ce qu’ils sont : un racisme et des crimes abjects, qu’il ne suffit pas de condamner, mais qu’il faut encore plus combattre par des moyens concrets, à l’instar de ce que l’on dit vouloir faire avec le problème de la radicalisation.

Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui parce que l’idéologie islamophobe constitue le pain et le beurre de certains médias bien connus au Québec et demeure opérante au sein même des institutions de l’État québécois. Ce constat saute aux yeux de tout observateur objectif qui prendrait le temps d’étudier les principales stratégies par lesquelles cette idéologie procède, à savoir la négation, la banalisation et l’instrumentalisation du fait islamophobe.

La première de ces stratégies représente donc un pur négationnisme. Celui-ci proclame, en dépit de faits tenaces, que l’islamophobie n’existe tout simplement pas. La notion ne serait ainsi que l’invention diabolique de quelques loups garous musulmans, des intellectuels et des activistes de confession musulmane que l’on soupçonne d’être au service d’une « Internationale islamiste » qui cherche à détruire nos modes de vie, nos États et nos sociétés.

Rattrapés par la triste réalité qu’ils s’efforcent de nier, les idéologues de l’islamophobie ambiante se rabattent sur un deuxième stratagème, celui de la banalisation du crime islamophobe. Ici, ils reconnaissent bien, quoique du bout des lèvres, les actes ignobles qui frappent les institutions et les populations musulmanes, surtout lorsque ces actes sont rapportés dans les médias de masse. Mais ils en atténuent le danger en les banalisant. Selon eux, le phénomène serait tout au plus marginal, ne devant faire l’objet d’aucune attention particulière ni d’aucun traitement sérieux de la part des autorités publiques. Et pour mieux vendre au public et aux décideurs cette banalisation irresponsable, ils n’hésitent pas à faire ouvertement dans la concurrence victimaire, en renvoyant dos à dos l’islamophobie et d’autres discriminations. Comme si la lutte aux méfaits de l’islamophobie ne pouvait se concevoir qu’au détriment des luttes que l’on doit légitiment mener au racisme ou aux autres injustices.

Le troisième stratagème de l’idéologie islamophobe, aussi paradoxal que cela puisse paraître a priori, consiste à instrumentaliser le fait islamophobe pour alimenter l’islamophobie. En effet, la montée des actes islamophobes ces dernières années, documentée par de nombreuses recherches universitaires, est ici expliquée comme une réaction compréhensible, sinon légitime, de citoyens honnêtes exaspérés par les discours « irraisonnables » et les pratiques « barbares » des musulmanes. Récemment, cette relation s’est incarnée dans le fameux lien que l’on établit un peu trop rapidement entre l’islamophobie et la radicalisation réelle ou alléguée de certains jeunes musulmans de la province. Postulé idéologiquement, cette corrélation permet ainsi pour des islamophobes notoires, tout en donnant l’impression de condamner l’islamophobie, de tenir ses principales victimes pour responsables de la discrimination et des crimes qu’ils subissent.

Qu’en est-il maintenant de la motion de nos députés ? Celle-ci reconnaît certes l’existence d’une certaine islamophobie. À savoir l’islamophobie vulgaire qui s’exprime essentiellement sur les réseaux sociaux. À cet égard, on peut bien saluer Mme Françoise David et Québec Solidaire pour l’avancée importante qu’ils apportent pour l’avenir du débat sur cette question.

Toutefois, malgré ce mérite relatif, la motion vide de sa portée la notion de l’islamophobie en faisant l’impasse sur les véritables lieux où sévit aujourd’hui et impunément l’idéologie islamophobe. Ces lieux sont pourtant bien connus. Il y a d’abord certains des principaux médias du Québec, qui distillent un discours islamophobe plus sophistiqué et donc plus dangereux que celui des réseaux sociaux. Il y a ensuite l’arène politique où, à chaque fois qu’ils en ont l’occasion, des politiciens et des formations politiques de premier plan n’hésitent pas à exploiter le fait islamophobe pour des considérations purement politiciennes.

En ménageant ces lieux et ces acteurs, et compte tenu des enjeux que l’islamophobie soulève pour l’avenir du Québec et des Québécois de confession musulmane, la motion du 2 octobre n’est pas suffisante car elle cible uniquement les manifestations vulgaires du phénomène tout en ignorant ses causes réelles.

En effet, au-delà de la motion, nous avons besoin d’une véritable volonté politique qui accepte de prendre au sérieux la lutte contre le fléau de l’islamophobie. Cette volonté doit s’inscrire dans un plan gouvernemental pour encadrer cette lutte et l’intégrer aux priorités de nos gouvernants. Ce plan d’action devra mobiliser des ressources financières et humaines adéquates afin d’étudier le phénomène, l’affranchir des polémiques idéologiques et partisanes qui empêchent actuellement sa prise en charge par l’État. Ce plan devra également et surtout déployer une campagne de sensibilisation à l’échelle de la province destinée aux fonctionnaires de l’État, aux principales institutions étatiques et, plus largement, à la société civile québécoise. Enfin, ce plan gouvernemental que nous appelons de nos vœux devra mettre en place une structure de soutien aux victimes de l’islamophobie, ces femmes et ces hommes qui sont marginalisés, agressés, discriminés, en vertu de leur seule appartenance, réelle ou présumée, à une communauté de foi et à une religion.

Adil Charkaoui, coordinateur du Collectif Québécois Contre l’Islamophobie
Aziz Djaout, chercheur en contre/dé-radicalisation à l’Université de Montréal

(Ce texte a été publié initialement dans le site Presse-toi à gauche: http://www.pressegauche.org/spip.php?article23792
et par The Muslim News: http://themuslimnews.ca/2015/10/lideologie-islamophobe/)

Le Collectif Québécois Contre l’Islamophobie (CQCI)

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